Santé, sécurité, éducation, réindustrialisation, écologie… Encore une fois, à l’occasion des dernières élections, l’immobilier a été le grand absent du débat public. A peine pouvait-on relever quelques mentions pour la construction de logements pour les étudiants, la rénovation des passoires thermiques, ou bien un "Stop à la loi du béton" au gré des programmes des candidats. Et pourtant. Avec sa démographie croissante liée à la hausse de la natalité, à l’allongement de la durée de la vie et à la décohabitation, la France a besoin de logements. D’autant que le bâtiment est un bon contributeur en termes d’emplois (2 par logement construit) et de recettes fiscales (80 milliards d’euros l’an dernier). Et pourtant, la construction est en panne: malgré un petit rebond au premier trimestre 2021, au cours des douze derniers mois, seuls 384.300 logements ont obtenu un permis de construire, soit 71.200 de moins qu’au cours des douze mois précédents (-15,6%), selon les chiffres du ministère de la Transition écologique. Un niveau qui fait frémir les promoteurs et laisse augurer de nouvelles difficultés pour les Français, alors que les prix tant dans l’ancien que le neuf sont au plus haut. "La construction est un acte utile, par les emplois et les recettes fiscales qu’elle génère, nécessaire, puisque les gens ont besoin de se loger, et noble, par la qualité actuelle de ses réalisations", défend Pascal Boulanger, président de la Fédération des promoteurs immobiliers.
Freins économiques traditionnels
Mais les Français renâclent à la présence des grues, et leurs votes aux élections municipales, portant bon nombre d’élus écologistes à la tête des grandes villes, ont donné un coup d’arrêt aux chantiers, alors même que "la crise a mis l’accent sur la qualité nécessaire des logements en termes de santé et de bien-être", plaide Vincent Ego, directeur général de Cogedim. La construction est aussi ralentie par des freins traditionnels: la rareté et la cherté du foncier disponible, encore plus complexe à obtenir avec l’objectif "ZAN" (zéro artificialisation nette des sols) et les surenchères entre promoteurs, les délais d’instruction des permis de construire, les recours contre les permis. Les nouveaux maires ont décidé, au mieux, de réexaminer les projets en cours, au pire de stopper toute construction durant leur mandat.
De plus, l’évolution législative "avec la suppression du coefficient d’occupation des sols a donné un pouvoir supplémentaire aux maires, analyse Ivain Le Roy Liberge, directeur général de Sully Promotion. Ils doivent désormais se justifier auprès de leurs électeurs". Du coup, les promoteurs prennent leurs précautions. "Pour éviter les recours, nous mettons en place un référé préventif avec un expert judiciaire nommé par le tribunal, explique Guillaume Liurette, fondateur de L&P Immobilier. Il dresse des constats chez tous les riverains en amont qui peuvent intervenir en cas de problème." Mais cela ne suffit pas: "Les grues sont ressenties comme une intrusion", estime Franck Petit, président de Maisons d’en France et directeur de l’habitat neuf chez Procivis Immobilier.
Car le logement se heurte aussi à des freins sociétaux. "Il y a le phénomène “not in my backyard”, que l’on peut traduire par “oui, mais pas chez moi”, constate Marianne Bléhaut, directrice d’études au Crédoc. Mais aussi le sentiment Insiders-Outsiders, où les nouveaux arrivants font craindre une dévalorisation de l’existant." Norbert Fanchon, président du directoire du groupe Gambetta, résume le phénomène simplement: "Il y a une certaine forme d’individualisme qui pousse l’entre-soi à son paroxysme." Et le "ressenti" est d’autant plus fort que les projets urbains comprennent des logements sociaux. "L’image des grands ensembles des années 1970 pèse encore dans l’inconscient collectif, analyse Guy Tapie, professeur de sociologie à l’Ecole nationale supérieure d’architecture et de paysage de Bordeaux. Parallèlement, il y a une méconnaissance et une défiance vis-à-vis de la chaîne de production et des acteurs de la construction, et des responsabilités qui en découlent."
Enjeu politique
Construire n’est pourtant plus synonyme de dalles, de barres et de tours: "Depuis les années 1980 et les efforts d’intégration dans le tissu urbain, on ne peut plus distinguer les logements sociaux des autres", remarque Jean-Claude Driant, professeur à l’Ecole d’urbanisme de Paris. L’enjeu, politique, est de changer la perception de la construction: "Avec les dispositifs de défiscalisation, qui représentent la moitié de la production annuelle dans le collectif, on a transformé le logement en produit économique standardisé au détriment de la notion de lieu de vie de qualité", pointe Christine Leconte, présidente du Conseil national de l’Ordre des architectes.
Les bailleurs sociaux l’ont compris. "Ils ont une vision d’investisseurs à long terme, avec des constructions de qualité, rappelle l’architecte Frédéric Quevillon. Le parent pauvre, c’est l’accession." Les pouvoirs publics doivent donc développer une vision plus large. "L’effort de construction se concentre sur les métropoles, ce qui entraîne un fort déséquilibre territorial, regrette Frédéric Danné, directeur national du développement du groupe Carrere. Il faut redévelopper les villes moyennes en appui des métropoles, d’autant que les Français peuvent aujourd’hui bénéficier du télétravail.